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The Grid

The Grid: Une IA de webdesign

16 Fév 2015, Posté par D. Bocquelet dans Digital

L’arrivée récente de The GRID a provoqué du remous dans le landernau des webdesigners. Une profession il est vrai de peu de poids sur le plan médiatique, quoiqu’elle puisse présenter concrètement son travail contrairement aux référenceurs. Or, the Grid n’est pas le surnom d’un ensemble de réglementations contraignantes venant contingenter ladite profession mais une intelligence artificielle censée créer des sites internet « at random », apparemment de manière autonome. Une vraie révolution ou un beau ballon marketing ?

C’est ce que nous allons essayer de décoder.

D’abord ce n’est pas un projet encore 100% mature, puisqu’il est actuellement en phase de financement, précédé d’un projet kickstarter (maintenant fondé en 2013), NoFlo, une plateforme ergonomique pour développeurs. Ce projet à l’étude depuis 3 ans et demi réunit une équipe de 4 membres fondateurs, Dan Tocchini, (CEO et Co-Fondateur de la société), l’Ex-directeur produits de Google AdSense Brian Axe, Le lead designer Leigh Taylor et le directeur technique Henri Bergius, réunis à San Francisco en 2010.

L’équipe espère lever sur son propre site 70 000 dollars pour finaliser le développement et lancer le produit commercialement en mai prochain. Les fondateurs (plus de 200 000) se verront gratifier alors de bénéficier d’un avoir leur permettant de disposer de leur propre site à 8 à 25 dollars au lieu de 95 par mois, prix public.

D’après Dan Tocchini, « Nous avons passé les quelques dernières années à créer une forme d’intelligence artificielle qui fonctionne comme votre propre graphiste personnel, capable de penser votre marque et de la présenter de la meilleure façon possible. Le design s’adapte à votre contenu, et non l’inverse. » Il est dit que la solution se passe de template et peut gérer textes, images, vidéos, URL… en temps réel, pour créer le meilleur assemblage possible. Au final, chaque site est censé être unique et taillé sur mesure. Les cibles: WordPress, WIX, Drag&Drop…

Un bon pedigree pour un produit qui se veut à première vue (encore!) une plateforme centralisée de création de sites internet. Le principe est simple et on peut trouver ce type de plate-forme partout sur le web, dès lors que l’on google « site gratuit ». Le marché est devenu mature avec une short-list de plate-formes qui se sont rachetées les unes les autres et des modèles de financement maintenant bien huilés. Comment innover encore sur ce créneau saturé ?

The GRID compte donc créer la surprise en appelant simplement la dernière étape logique après lesdites plate-formes qui étaient déjà hautement automatisées. Le principe en était que les utilisateurs conçoivent eux-mêmes leurs sites à partir de systèmes de templates et d’un éditeur Wysiwyg. En principe personne n’intervenait dans le processus de création et le résultat final était une combinaison de la qualité de l’éditeur en génération de code (propre, intelligent et léger… ou non!), et des choix personnels de l’utilisateur, pas forcément formé au webdesign ni au marketing.

L’étape suivante était donc de supprimer l’utilisateur de l’équation en laissant faire par une intelligence artificielle toute la phase d’intégration des contenus et leur mise en page. Il ne s’agit pas à en croire The Grid d’un processus 100% autonome, puisque l’utilisateur a quand même quelques choix éditoriaux à faire et garde la maîtrise de son contenu, mais le processus de mise en page et toutes les opérations satellites sont effectuées au dire de l’équipe, en toute autonomie. Le lancement du concept s’est accompagné d’une réflexion sur le métier de webdesigner, au sens plus large, et la reconnaissance de la difficulté croissante de son travail. Une difficulté qui le condamne à long terme -c’est en tout cas le pari fait par The Grid.

Concrètement de nos jours, un(e) vrai(e) webdesigner, c’est à dire un(e) professionnel(le) qui ne soit pas qu’un(e) simple « infographiste », doit pouvoir matérialiser en code interprétable par les navigateurs un design 2d issu de photoshop ou autre application en site internet fonctionnel avec l’apparence requise. Les interactions, qui ne se voient pas dans un design web, sont ensuite définies en fonction des connaissances du webdesigner et des attentes du client et des pratiques de la concurrence en matière d’interactivité. Ce travail peut intégrer un framework existant (comme bootstrap), qui permet d’avancer beaucoup plus vite que de développer tous les éléments à façon, réduisant d’autant la facture. Mais il reste à intégrer des éléments de responsivité et des plugins, API et autres éléments qui peuvent être conflictuels. Et il ne s’agit même pas d’habillage de template et customisation de CMS.

Le choix des couleurs, tonalités et mises en pages des photos par rapport au texte, etc… relèvent de décisions quasi « artistiques » qui font appel au goût et aux pratiques observées ailleurs. Il s’agit de choix en apparence subjectifs et associés naturellement à un être humain, pas à une IA.

La première simple déduction concernant le produit vient du doute qui s’installe quand au fait que ce système peut créer des sites vraiment personnalisés. A voir les screenshots, on n’en est pas forcément convaincu. En effet à la base, il a fallu penser pour mettre au point les « goûts » supposés parfaits de l’IA et le programme derrière les choix de mises en page reflètent les choix personnels des techniciens derrière, notamment Leigh Taylor et Brian Axe. On ne peut pas ne pas suivre les modes en matière de design web et il est certain que si cette AI n’est pas capable de les suivre, les designs seront vite « datés ». Qui plus est il est assez facile aujourd’hui de détecter des sites « made in bootstrap », ou les CMS avec templates populaires. Il y a de fortes chances qu’il en sera de même avec The Grid.

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Une IA serait-elle capable d’engendrer des millions de sites totalement différents ? Sur le plan mathématique seulement. Car s’il on considère les tendances marketing, les modes du webdesign et l’ergonomie la plus récente en usage, cela va vite donner à ces produits un goût fort de « déjà vu ». Les clients seront-ils d’accord au final avec le résultat de de l’IA ? Serait il possible dans le cas contraire d’effectuer des modifications ou faudra t’il effectuer un « shuffle » avec le risque que la nouvelle mouture ne soit pas plus convaincante ?
Il est vrai cependant que la simple faculté de générer automatiquement un site internet en changeant quelques paramètres va permettre de faire ce qui prend bien trop longtemps à un webdesigner avec des méthodes classiques. Et en soit c’est déjà considérable car cela donne aux clients de plus fortes probabilités d’êtres satisfaits avec le moindre effort…

Pour rependre les termes officiels, l’IA serait capable de:
– « Collecter » des images et du texte venant d’Internet via un navigateur ou extension mobile pour la mise en page du site.
– Analyser le contenu soumis et créer un site web réactif en seulement trois minutes.
– Automatiser la gestion des couleurs, le découpage la mise en page du texte et son positionnement sur les images. Le logiciel sensible au contenu détecte les contrastes et détermine en conséquence leur position optimale.
– Recadrer automatiquement les images à l’aide de fonction de détection des visages ou objets.
– Construire un site web entièrement depuis un smartphone ou une tablette.
– Publier du contenu directement sur plusieurs sites Web à partir d’une source unique.
– Utiliser un « call to action » adaptatif (fonctionnalité-clé/commerciale) disponible fin du printemps 2015.

Alors, Les webdesigners seront-ils au chômage lorsque d’autres plate-formes auront repris la même formule ?
Il est certain que si elle ne finit pas en flop après un ou deux ans d’exploitation, l’idée reste séduisante… pour les financiers. Elle procède d’une étape logique qui associe les progrès des IA auto-apprenantes et gomme progressivement le maillon humain de l’équation, en allant vers plus d’efficacité supposée. Un code 100% généré pour un projet unique est en effet mille fois plus avantageux qu’une solution « bâtarde » comme un CMS avec template et plugins, trois échelons qui ne se marient pas forcément bien et coûtent cher, et génèrent des kilomètres de code superflus et redondants. C’est aussi plus séduisant sur le plan financier qu’un site 100% unique mais 100% humain, avec le temps de travail qu’il faut bien rémunérer. Avec des conséquences pour la vitesse de chargement, meilleur expérience utilisateur, moins de place prise sur le serveur, et au final, moins d’énergie consommée dans le monde « réel ». Créer un site sur mesure en le codant à 100% à la main prends beaucoup de temps. Une IA pourra le faire presque gratuitement, si ce n’est le travail derrière pour développer l’IA et l’interface utilisateur.

Enfin, cette IA est bien en charge du webdesign et ne gère apparemment pas les aspects Marketing et référencement, avec les conséquences que l’on imagine très vite. Ce projet n’est donc viable que pour la même catégorie de « clients » qui plébiscitent les sites « gratuits » et dédaignent les agences: Commerçants, artisans et TPE-PME, particuliers, qui ne connaissent que l’aspect premier d’un site internet: Son apparence. Les grands sites seront eux toujours sur mesure car feront toujours appel à une intelligence bien humaine tant leur réalisation relèvera de négociations et d’équilibrages complexes, bref un travail d’équipe autour d’un cahier des charges et de la vision d’un client, avec une vraie stratégie d’ensemble qu’aucune IA ne pourra jamais satisfaire.

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Quand à la plateforme, les bases profondes de son fonctionnement dépendent de …webdesigners. Si ces derniers disparaissaient il est facile d’imaginer les conséquences d’un web « bas de gamme » entièrement généré par des IA. Une uniformisation totale à terme, faits de sites tous « parfaits » car tous sur-optimisés. Une vision Orwellienne de couloirs interminables constellés de portes identiques sur fond cliniquement blanc. Une image à la « matrix »…

Edit: Le 7 juin 2016, WIX (Israel), plate-forme CMS bien connue, annonce à son tour une Intelligence Artificielle de webdesign. La course est lancée pour les grands opérateurs du web 1&1 MyWebsite, Jimdo, I-Monsite, Weebly…